Saint-Ouen, une balade pour se secouer les puces à vélo

De Saint-Ouen, on connaît les fameuses “puces” où les chiffonniers[1] se sont installés dès la fin de la Commune. Mais la ville regorge de merveilles à débusquer, un peu comme quand on chine en friperies pendant des heures… Dépoussiérons l’image de Saint-Ouen avec cette balade !

 

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Départ : Station Vélib’ N°17124 Porte de Saint-Ouen – Henri Huchard

Arrivée : Station Vélib’ n°18140 – Porte de Clignancourt – Ney

Durée : 2h

 

 

Voiture en trompe-l’œil

©Seine-Saint-Denis Habitat

 

Pour admirer la beauté de certaines architectures, même si elles n’évoquent pas le vélo, descendez la rue Lafontaine et observez les blocs d’immeubles HLM – futuristes : sur la façade voyez-vous se dessiner des voitures ? Mais cela ne nous explique pas pourquoi Saint-Ouen s’est rapidement industrialisé à la fin du 19ème siècle.

Les industriels auraient eu tort de bouder la ville, passage obligé pour rejoindre le port de Gennevilliers : les usines parisiennes y sont délocalisées peu à peu ainsi qu’à Levallois, Clichy et Saint-Ouen. Jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, l’économie de Saint-Ouen se développe grâce à la chimie et la parachimie, la métallurgie et le secteur de l’énergie avant de devenir le fer de lance de la production automobile française.

Filons maintenant voir la dernière usine automobile en centre-ville : prenez à droite, rue Émile Zola et remontez-là jusqu’à la rue Farcot.

 

 

La dernière usine automobile du centre-ville

©VVVCFFrance

 

Plongeons encore un peu plus loin dans l’Histoire : regardez sur votre gauche où se trouve l’ancienne usine PSA Peugeot-Citroën.

Symbole de l’industrialisation de Saint-Ouen, l’histoire de cette usine débute en 1846 quand Marie-Joseph Farcot, industriel reconnu pour ses machines à vapeur, décide de s’y installer. Son fils Joseph Farcot, reprend l’entreprise à son tour. Surnommé “l’homme aux 194 brevets”, il les dépose dans des domaines très variés : machines à vapeur, grues, moteurs thermiques. Il reçoit d’ailleurs le prix Plumey de l’Académie des Sciences pour son invention d’amplificateur de puissance appelé « servo-moteur » ! Derrière l’usine se cache donc un impressionnant héritage familial d’ingénierie…

D’un point de vue architectural, la halle aux poutres de bois, que vous pouvez imaginer derrière les façades plus récentes, est la plus ancienne, datant de Farcot père. En 1880, une halle de fer de 824 m2 directement inspirée des Halles Baltard et des Expositions universelles, est construite par Farcot fils : plus de 1 500 ouvriers y sont alors employés, oscillant entre les forges, la fonderie et le four à coke (le coke est un combustible obtenu par pyrolyse de la houille).

Au décès de Joseph Farcot dans les années 1900, l’usine change son fusil d’épaule et délaisse les machines à vapeur pour l’armement et les essais sur les moteurs à explosion.

Les bâtiments sont rachetés en 1924 par André Citroën : l’usine de Javel, située dans le quartier éponyme du 15e arrondissement, est devenue trop petite pour les 100 voitures produites par jour… À Saint-Ouen, on réalisera l’assemblage des pièces et l’emboutissage, une technique de fabrication utilisée en carrosserie.

Pour se fondre dans le décor alentour, des murs de briques sont ajoutés pour encadrer les différentes halles construites au fil des années.

Aujourd’hui, que font les 320 ouvriers restants dans ces 40 000 m2 ? Ils se préparent à laisser la place au Grand Hôpital de Paris Nord, le plus important projet de l’AP-HP depuis 20 ans. Ce sont les ateliers de Renzo Piano, à l’origine du plus grand monument futuriste aux airs résolument industriels de Paris, le Centre Pompidou, qui s’occuperont de sa rénovation.

 

 

La voiture dans tous ses états à l’ancienne usine de carrosserie et l’ancien Musée Pierre Cardin

©CaptureGoogle

 

Prenez à gauche rue Louis Blanc et remontez le boulevard Victor Hugo sur votre droite. Arrêtez-vous au numéro 33 et admirez cette ancienne usine de carrosserie devenue musée jusqu’en 2014 grâce à Pierre Cardin.

Ce n’est pas un hasard si le couturier avait jeté son dévolu sur cette dernière pour y créer son musée… Il a roulé sa bosse dans le secteur automobile pendant plusieurs années en tant que designer automobile ! Sa théorie était simple : “Les gens doivent se sentir assis dans leur salon et non dans une machine”.

Ainsi, la voiture la plus vendue en France au début des années 1970, la Simca 1100, a été imaginée par Pierre Cardin. Suivent ensuite l’AMC Javelin et le Rav4 Pierre Cardin, confirmant l’appétence du couturier pour ce domaine : il fondera même une marque américaine d’automobiles, Pierre Cardin Automotive en 1980, dont les bureaux seront à New York. En toute simplicité. Malheureusement, la futuriste Cardin Evolution sera un échec commercial : trois cents exemplaires devaient être vendus par an, seuls cents trouveront preneur outre Atlantique. Les sièges en cuir cousus main, le tapis de sol en lainage anglais et les touches d’or 22 carats n’auront pas su séduire les consommateurs…

En dépit de cette expérience, l’influence de l’automobile persistera : des robes cocktail inspirées des pare-chocs de Citroën seront réalisées par un carrossier.

Si le musée Pierre Cardin a depuis élu domicile dans le Marais, les briques bleues ont continué de se réinventer, en devenant notamment la future résidence universitaire pour les étudiants de Paris-Diderot.

 

 

Du TGV à la gastronomie – des anciennes halles Alstom à l’éco-quartier des Docks

 

Une double réhabilitation des bâtiments est visible rue Frida Kahlo,
Côté impair : rue Frida Kahlo – Manufacture du Design

Faites demi-tour, descendez le boulevard Victor Hugo et prenez la première à droite, la rue des Bateliers. 4 rues plus bas, tournez rue de la clef des champs sur votre droite puis la première rue à droite, l’allée de la Comtesse de Cayla. Observez maintenant l’architecture de la rue Frida Kahlo et plus précisément la Halle Alstom, située entre la rue Paulin Talabot et la voie piétonne Cour des Bateliers : des trains y étaient construits de 1922 à 2008 !

Aujourd’hui, la Halle abrite serres tropicales et bureaux de designers. Ce projet architectural d’envergure a réussi le tour de force d’innover tout en respectant l’ancien : huit années furent nécessaires pour reprendre le bâti en l’adaptant à 100% à une énergie solaire passive ! Classée patrimoine remarquable, la halle déploie fièrement son armature métallique et ses ponts roulants pour accueillir un “campus, laboratoire, école” (dixit Olivier Sagez, fondateur de La Manufacture Design). Sacré clin d’œil du destin pour ce lieu d’abord antre du taylorisme, où chacun avait sa place attitrée lors de la construction des trains, à bureaux mobiles “stimulant pour la créativité”.

Hasard ou non, un des clients de La Manufacture Design n’est autre que… la SNCF.

 

Côté pair : rue Frida Kahlo – Halle gastronomique

Admirez l’autre bâtiment Alstom entre la rue Paulin Talabot et la voie « mail André Breton » : si vous ne salivez pas encore, ce n’est plus qu’une question de temps ! Cette halle s’inscrit dans le “parcours de la gastronomie” de la région Ile-de-France et ouvrira d’ici 2023. Au menu, pardon, au programme : un marché bio, une dizaine de restaurants, une trentaine de commerces de bouche, une école de cuisine, une salle de spectacle… Le tout ouvert de 8h à minuit : les lève-tôt comme les fêtard.e.s vont être séduit.e.s ! L’agence Lune Rousse, en charge du célèbre Ground Control à Paris, alimentera l’agenda d’évènements festifs… De quoi retrouver l’état d’esprit des anciens canotiers qui s’encanaillaient en bords de Seine quand les docks étaient encore un lieu de villégiature !

 

 

Vieux Saint-Ouen – un quartier (d)étonnant !

©Chabe01

 

Remontez la rue Paulin Talabot, prenez à droite sur la rue de la clef des champs puis à gauche rue Albert Dhalenne. Filez à droite sur la rue de Saint-Denis, un peu plus loin bifurquez à gauche sur la rue des châteaux. Cachée derrière les arbres vous apercevrez bientôt une petite église derrière laquelle se trouve la place de l’Abbé Grégoire.

Remontons le temps : au 15ème siècle, Saint-Ouen c’était alors 24 familles (ou foyers !) rassemblées autour de l’église médiévale. Leurs métiers (vignerons, journaliers, laboureurs, maçons, cabaretiers, jardiniers, domestiques) étaient bien moins nobles que les visiteurs dînant dans les châteaux alentour.

Et si les usines s’implantent sur les Docks et en bordure de Paris, les centres-villes regorgent d’ateliers dont l’activité incommode pour le moins le voisinage : fabrique d’huiles animales, verrerie d’éclairage, entreprises de produits chimiques (Mourrut, Tyseau et Duchemin, Montreuil frères).

Au fur et à mesure des siècles, le vieux Saint-Ouen sera habité par des ouvriers, venus de provinces puis de pays de plus en plus éloignés. Véritable quartier cosmopolite, la dernière ferme d’élevage de vaches disparaîtra en 1960 laissant la place à un centre-ville plus résidentiel.

 

 

Le Château de Saint-Ouen et le Grand Parc des Docks de Saint-Ouen – projet en cours !

©Lektz

 

Après avoir admiré l’église, descendez la rue du Moutier, prenez sur votre droite la rue de Saint-Denis, faites un stop en arrivant au Grand Parc des Docks de Saint-Ouen.

Ouvert en 2013, ce parc de 12 hectares propose notamment trois aires de jeux pour enfants et une serre pédagogique de 1 400 m2 ! Mais avant d’être un espace vert aussi vaste, s’y trouvait un avant-port, construit par des industriels, pour juguler les crues de la Seine et le trafic des bateaux. Puis, dès le début du 19ème siècle, le canal et son bassin sont creusés : les entrepôts, pompes et usines de production suivent rapidement. Aujourd’hui, la désindustrialisation redessine les berges que les habitants s’approprient à nouveau grâce à ce parc immense.

Jetons un coup d’œil au château de Saint-Ouen, classé monument historique depuis 2019. Saviez-vous qu’il fut construit par Louis XVIII ? Ce dernier s’éprend de la ville lors d’une fête chez le grand chambellan de Pologne et décide d’y faire construire sa résidence secondaire. Il exige alors la destruction complète du précédent château en ruines, désigne Jean-Jacques-Marie Huvé comme architecte pour réaliser sa nouvelle demeure dans le style néo-palladien. Investi dans le projet, Louis XVIII participe à la conception des croquis du nouveau château, dont l’architecture s’inspire de La Madeleine et du Petit Trianon. La première pierre est posée le 8 juillet 1821 ! C’est sa dernière favorite, la comtesse Zoé du Cayla, qui jouira finalement de la demeure royale.

Le château revêt aussi une dimension politique car c’est ici que Louis XVIII y signe la déclaration de Saint-Ouen en 1814, rétablissant la monarchie. Il y reconnaît également certaines libertés acquises sous la Révolution et l’Empire.

Bien plus tard et après encore plusieurs vies, le domaine est racheté par l’industriel Thomson-Houston (Alstom) en 1917. Ce dernier divise l’espace en deux : d’un côté des terrains de sport et des jardins pour les ouvriers, de l’autre une usine de fabrication de matériel électrique, connectée au réseau ferré. Le château reste à l’abandon jusqu’en 1965 où il devient un musée qui fermera ses portes en 2005. Depuis, son histoire semble être entre parenthèse en attendant un nouveau projet.

 

 

Les Puces de Saint-Ouen

©Shadowgate

 

Sortez du parc, prenez la rue de la clef des champs pour rejoindre la rue des Bateliers, continuez rue villa de l’industrie et poursuivez rue des rosiers : votre dernière ligne droite avant de finir cette balade en beauté ! LE lieu emblématique de Saint-Ouen vous attend pour vous faire découvrir le métier de chiffonnier. Pendant des siècles, les biffins[2] collectaient vieux tissus pour les papeteries, peaux de lapin ou os pour la fabrication de colle, ferraille pour la métallurgie et bien d’autres choses encore. En 1880, c’est l’apogée du chiffonnage : 35 000 personnes s’y adonnent. Il faut dire que le besoin exponentiel de papier avec le développement de la presse n’y est pas étranger… Mais en 1884, Eugène Poubelle les met presque au chômage : les dépôts d’ordure devant les portes d’immeubles parisiens sont désormais interdits. Les chiffonniers s’installent donc dans la plaine Malassis pour y déposer leurs trouvailles et les revendre.

Aujourd’hui, le Marché aux Puces de Saint-Ouen compte cinq millions de visiteurs par an, ce qui en fait le premier marché d’art et d’antiquités du monde ! Fripes de la Porte de Clignancourt, biffins de l’avenue de la Porte de Montmartre et antiquaires de la rue des Rosiers co-existent encore pour le bonheur des chineurs.

 

Nota Bene :

N’hésitez pas à déposer votre Vélib’ à la station n°18140 – Porte de Clignancourt – Ney. Déambuler à pied dans les Puces est plus agréable… Bonne balade !

 

 

[1] Un chiffonnier est une personne qui fait le commerce de vieux chiffons, de vieux objets, achetés ou ramassés dans les rues. Définition issue du CNRTL.

[2] Le biffin est le nom en argot de chiffonnier, par essence une personne “mal” habillée.