Depuis le jeudi 13 mars, l’accès à Vélib’ est gratuit afin d’inviter le plus grand nombre à lutter contre les émissions de polluant en cette période de pic de pollution due à une météo exceptionnelle. Cette mesure, largement suivie par les métropolitains (20 000 tickets offerts en 2 jours), a suscité un grand nombre d’interrogations de votre part. La principale d’entre-elles concerne l’exposition aux particules fines durant le trajet à Vélib’, alors que l’activité physique est dans le même temps déconseillée.
J’ai interrogé le docteur Jean-Luc Saladin, médecin généraliste au Havre, directeur de thèse, conseiller scientifique de la Fédération française des usagers de la bicyclette (Fubicy) et délégué modes doux de la Ville du Havre.
Docteur Saladin, vous êtes un fervent défenseur du vélo comme mode de transport, pourquoi ?
Docteur Jean-Luc Saladin : En tant que médecin, j’ai eu le déclic en 1974. La voiture en ville ne permet finalement que de faire des sauts de puce et surtout les polluants et la sédentarité qu’elle génère constituent un problème de santé publique. Une étude danoise a montré que ceux qui vont au travail à vélo ont une mortalité réduite de 40% par rapport à ceux qui empruntent les transports en commun. La littérature scientifique est abondante sur la question de la santé comparée des gens physiquement actifs ou inactifs, au delà de la question du vélo. On aurait ainsi par exemple une réduction d’environ 50% des maladies cardiovasculaires, d’au moins 25% des cancers, ce taux allant au moins jusqu’à 40% pour ceux du sein et du colon. Dans l’état actuel des connaissances, il apparaît qu’il est plus dommageable pour la santé de ne pas faire de vélo que de le pratiquer. Développer la pratique du vélo est un outil de santé publique.
Mais au sein d’une circulation dense, est-ce qu’une partie des bénéfices santé du vélo sont perdus à cause de la pollution à laquelle on s’expose ?
Docteur Jean-Luc Saladin : La réponse est complexe, plusieurs facteurs entrent en jeu et d’abord celui de l’exposition à la pollution en fonction du mode de transport.
- Premièrement, le vélo est le mode de déplacement le plus rapide en ville et ainsi celui où le temps d’exposition à la pollution est le plus court pour un même trajet. Toutes les comparaisons effectuées en heure de pointe concluent que l’on se déplace plus vite en vélo qu’en voiture, en bus ou en métro, à quelques exceptions près bien sûr. Seuls les deux roues motorisés sont plus rapides.
- Deuxièmement, dans la circulation, c’est en voiture que l’on s’expose le plus à la pollution. Par exemple, l’étude réalisée pour l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail notamment par Jean-Paul Morin de l’université de Rouen et chercheur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a mesuré l’exposition aux polluants à l’intérieur de l’habitacle d’un véhicule équipé de capteurs dans la ville de Rouen. Les pics constatés, s’ils étaient mesurés dans une usine, conduiraient à sa fermeture pour raisons de sécurité ! Et ce parce que, pare-chocs contre pare-chocs, la prise d’air de la voiture aspire directement les émissions du pot d’échappement de la voiture de devant. Le métro est bourré de particules polluantes et en bus, l’exposition aux polluants est comparable à celle des cyclistes mais dure plus longtemps.
Pour un même trajet, on s’expose donc moins longtemps à la pollution en vélo qu’en choisissant un autre mode de transport.
Un de nos internautes, Géo, a souligné dans un commentaire sur le billet Vélib’ et exposition à la pollution que “lors d’un effort physique, la vascularisation des muqueuses respiratoires, les bronches, augmente considérablement, et cette vascularisation entraîne une plus grande perméabilité aux agents externes, polluants, irritants, toxiques”. Qu’en est-il ?
Docteur Jean-Luc Saladin : C’est l’autre facteur important pour répondre à votre question. Pour le même effort physique et ainsi le même volume d’air consommé on parcoure la même distance trois fois plus vite en vélo qu’à pieds. Le piéton est donc plus exposé que le cycliste à condition que ce dernier n’aille pas jusqu’à l’hyperventilation. En effet, lorsque que l’on fournit un effort trop intense, on hyperventile, la respiration s’accélère et s’amplifie, les bronches se dilatent. On s’expose donc plus intensément aux polluants quoique sur un temps plus court. Cela-dit aujourd’hui, on ne dispose pas d’études scientifiques qui mesurent les effets nocifs de cette surexposition par rapport à celle plus longue du piéton. Je conseille aux cyclistes de maîtriser leur effort pour ne pas aller jusqu’à l’hyperventilation. L’idéal est de mouliner gentiment sans aller jusqu’à transpirer. Mieux vaut pédaler vite et régulièrement que de donner des grands coups de pédaliers.
Quels autres conseils donneriez-vous aux cyclistes pour limiter leur exposition aux polluants ?
Docteur Jean-Luc Saladin : Pour mieux maîtriser l’intensité de l’effort physique, on peut choisir une vitesse inférieure. Et surtout, il faut éviter au maximum de se mettre dans la veine gazeuse des pots d’échappement en privilégiant les pistes cyclables, les trajets alternatifs pour éviter les grands axes qui bouchonnent et, aux feux rouges, en allant se placer devant les voitures. Enfin, pour ceux qui le souhaitent, ils peuvent comme moi investir dans un masque filtrant professionnel (norme FFP3). Confortable, il protège des particules polluantes mais pas des gaz et notamment des nitreuses qui relèvent d’une question plus globale de santé publique. En tant qu’utilisateurs de vélo, nous ne générons ni pollution ni bruit – qui est une autre pollution terrible en ville – et nous contribuons à réduire les dépenses de santé. Nous réclamons donc le droit à respirer un air sain. L’idéal, ce serait des axes complètement démotorisés, des couloirs verts réservés aux marcheurs, joggeurs, cyclistes qui seraient, je pense, rapidement noirs de monde. La voiture est un répulsif à humain.
Merci au docteur Saladin pour toutes ces précisions qui, j’espère, ont autant éclairé vos lanternes que les miennes !
Consultez cet autre interview :
Pour aller plus loin : la thèse de doctorat de médecine de Sylvain Emo, Activité physique et santé : étude comparative de trois villes européennes, sous la direction du docteur Jean-Luc Saladin et soutenue en 2004 est téléchargeable (177 pages)