De Suresnes à Puteaux : voyage entre le parfum et l’automobile

Pour la seconde balade de l’année, nous remontons le temps tels Marty MacFly ! Direction la fin du XIXème siècle-début XXème siècle dans la première région industrielle de France : blanchisseries, teintureries, usines d’aéronautique, automobiles, radiotechniques… La liste est longue ! Suivez-nous à Puteaux et Suresnes pour découvrir les traces de ces ateliers, souvent transformés en usines, dont le succès perdure encore dans les mémoires.

Départ : Station n°21501 Pont de Suresnes

Arrivée : Station n°28001 Richard Wallace – Place du 8 mai 1945

Temps de la balade : 2h environ

Après avoir récupéré votre Vélib’, tournez à gauche pour prendre l’allée de Longchamp puis à droite sur le quai Léon Blum.

 

Suresnes, la cité des Parfums

  • Quai Léon Blum

Arrêtez-vous quai Léon Blum devant ce bâtiment en brique rouge. Nous débutons notre virée avec l’ancienne usine de François Coty, dissimulée dans l’actuel siège de Bel, dont tout le monde connaît les fameux fromages. Avant d’être le temple de Babybel et de la Vache qui rit, l’usine produisait bien d’autres odeurs : jus, flacons et emballages. Le bâtiment abritait également le siège social, les départements d’étude, de création, de publicité et de vente … Une véritable entreprise intégrée !

©Siège social du groupe Bel vu du sud (ancienne parfumerie Coty, puis Usine Agfa Gevaert, puis siège du groupe Havas) à Suresnes, par Celette, Wikipédia.

 

François Coty utilise à Suresnes les nouveaux produits chimiques de l’époque, les essences de synthèse : elles lui permettront de créer un parfum de luxe accessible, ce qui est précurseur pour son époque. Les flacons sont d’une rare élégance : dessinés par Baccarat puis Lalique, ils sont fabriqués en série et les bouchons de cristal sont quant à eux taillés à la main.

Le tout premier parfum de Coty, en 1904, rencontre un franc succès : nommé la Rose Jacqueminot, il rend hommage au pharmacien chez qui Coty a découvert l’eau de Cologne avant de s’envoler pour Grasse. Très vite, l’usine s’agrandit, de 15 000 mètres carrés en 1915 au point de devenir le premier employeur de la ville. Les 4 000 employés bénéficient d’avantages très novateurs pour l’époque : caisse de retraite, carnets de prévoyance, vacances… L’architecte Jean Barot pousse encore un peu plus les murs en 1936 : la savonnerie, la fabrication des poudres et fards, l’administration, les services sociaux, les magasins et les locaux techniques doivent effectivement y trouver place !

©Lithographie “La danse des parfums”, par Sem (Georges Goursat), pour Coty, wikicommons

 

Ambitieux, François Coty ? Et pas qu’un peu ! En 1907, il achète la partie septentrionale du domaine du château de la Source, au 11/13 boulevard Sellier. Hasard ou non, c’est au même endroit que vivait le parfumeur de Marie-Antoinette…

 

  • Rue de Saint-Cloud, où œuvrait Fargeon, l’artisan de la Reine

Remontez l’allée de Longchamp et prenez tout de suite sur votre gauche la rue de Saint-Cloud.

A la fin du XVIIIème siècle, Fargeon s’installe dans une grange, au cœur même de cette rue. Il y crée ses fragrances et utilise même des roses de Damas, cultivées sur les pentes du Mont Valérien. Mais il déserte très vite son atelier après la Révolution… être parfumeur de la Reine n’était pas à crier sur les toits à cette époque.

 

  • Le parc du Château

Continuez rue des Meuniers jusqu’à l’entrée du parc du Château. Garez votre vélo, passez l’entrée à pied et descendez les premières marches juste avant la fontaine. Vous trouverez là un bas-relief…

©Usine Coty, Suresnes, 1927, Gallica, Wikicommons

 

L’entrée principale de l’usine de Coty comportait deux fontaines, chacune décorée d’un bas-relief. Les femmes y étaient mises à l’honneur, agenouillées devant un brûle-parfum (évidemment !). Ces jeunes filles ont été dessinées par le fidèle créateur des flacons évoqué un peu plus tôt et célèbre dans le monde entier : René Lalique. Ce dernier travaillera avec bon nombre de parfumeurs : tous s’inspirent de la recette du succès de Coty (des flacons et des emballages recherchés) et vivent à un moment ou un autre à Suresnes. Quand on y songe, Coty était un peu le Steve Jobs de l’époque…

Pour ne citer que quelques-uns de ces parfumeurs, évoquons René Duval. Ancien directeur commercial chez Coty (tiens donc), il fonde avec son épouse Germaine Madeline la maison Volnay, dont la plupart des flacons sont créés par René Lalique. Jusqu’en 1987, on retrouvait l’usine près du Mont Valérien au boulevard Henri Sellier.

Évoquons ensuite Richard Hudnut. Cet Américain, pharmacien au début de sa carrière, s’établit en 1920 à Suresnes, rue Pagès, et exporte aux États-Unis ses cosmétiques et parfums aux noms français « so chic » (Fleurs à vous, La Rêverie…). Les années 1950 sonnent le glas de l’explosion de la taxe carbone de l’entreprise : l’usine s’implante directement de l’autre côté de l’Atlantique. Un engagement écologique avant l’heure…

Enfin, terminons par Maurice Blanchet, dernier nez de notre balade. Visionnaire, il rachète la marque Salomé, fondée par Hugues Guerlain (petit clin d’œil du destin, il s’agit d’un homonyme du célèbre parfumeur parisien) et la fusionne avec sa propre entreprise, Coryse, créant ainsi Coryse Salomé. Ses usines se trouvaient sur l’ancien potager du château de la Source !

 

Vers l’infini et l’aéronautique, avec l’usine Blériot Aéronautique (devenu EADS)

 

  • 5 quai Marcel Dassault à Suresnes

©Google, Capture d’écran, Campus Grand Paris Skema, les mosaïques de l’ancienne usine Blériot Aéronautique.

 

Reprenez votre Vélib’ et longez le parc puis descendez la rue Pasteur, prenez sur votre gauche la rue Marcel Monge puis tout de suite après sur votre droite le quai Marcel Dassault.

Le tuyau Vélib’ : mettez pied à terre pour marcher sur le trottoir et admirer les vestiges de la façade de l’ancienne usine.

Un peu d’histoire au préalable : l’aéronautique, comme le vélo ou la voiture, se développe grâce à celles et ceux qui participent à des courses et souhaitent battre des records… Le 25 juillet 1909, Louis Blériot traverse la Manche sur son Blériot XI, petit avion monoplan léger, en 37 minutes : du jamais vu ! Il se lance ensuite en tant que constructeur et fabrique à Courbevoie plus de mille avions sous le nom de Blériot Aéronautique. Le succès du constructeur est tel que l’Armée lui passe commande, le poussant à déménager à Suresnes et à s’agrandir en 1915, ses ateliers s’étendant alors sur 28 000 mètres carrés. 2 500 ouvriers y travaillent jour et nuit ! En quatre ans de guerre, 10 % des avions construits en France sont fabriqués chez Blériot.

©Un avion Blériot XI en vol, auteur inconnu, Wikipédia.

 

Après 1918, Louis Blériot tente de se diversifier et travaille sur des hydroglisseurs, des motocyclettes, des chars à voile, qui ne rencontrent malheureusement pas le succès escompté. Cela nous rappelle bien que la guerre rapporte plus que le sport en général. En 1921, Blériot Aéronautique fusionne avec la Société pour l’aviation et ses dérivés, devenant Blériot-SPAD.

Le 11 août 1936, dix jours après le décès de Louis Blériot, est votée la loi sur la nationalisation de la fabrication des matériels de guerre : Blériot-SPAD change de nom mais restera si ancrée dans les esprits que de nombreux ouvriers continueront de dire « je bosse chez Blériot ! ». De nombreuses fusions et changements de nom plus tard, l’entreprise devient EADS en 2000 (European Aeronautic Defence and Space Company)… mais sa transformation en Airbus en 2014 vous parlera sûrement plus. L’espace a récemment été racheté et réhabilité par l’école de commerce SKEMA Business School pour accueillir son campus Grand Paris.

 

Délaissons l’aéronautique pour la haute couture

 

Remontez la première sur votre droite, la rue du Val d’Or, puis prenez un peu plus loin sur votre droite, la rue Henri Regnault et, première à droite, la rue Fernand Forest… l’inventeur du moteur à quatre temps !

Le tuyau Vélib’ : restez particulièrement vigilant en traversant le boulevard Sellier.

 

  • Pavillon Balsan, rue Worth

©Hôpital Foch, Pavillon Balsan, Celette, Wikicommons.

 

Pour rejoindre notre prochain arrêt, rue Worth, rendez-vous sur le plan en début d’article pour les directions, et non, vous ne rêvez pas, vous n’êtes pas en Normandie, mais toujours à Suresnes… Le pavillon Balsan, relié à l’hôpital Foch, fut créé en 1892 par le fils aîné de Charles Frederick Worth, couturier de talent dont nous vous parlerons un peu plus longuement. S’inspirant du style des stations balnéaires plébiscitées par la haute bourgeoisie de l’époque, le pavillon tire son nom de l’ex-duchesse de Marlborough, cousine de Winston Churchill, répondant au doux nom de Consuelo Balsan…

C’est dans ce pavillon, en 1924, que Jean-Philippe Worth associe pour toujours la haute couture au parfum : il y fonde les parfums Worth avec Maurice Blanchet et René Lalique (deux personnages évoqués un peu plus haut dans notre périple !).

 

  • Hôpital Foch, 15 avenue Franklin Roosevelt

 

Le tuyau Vélib’ : soyez vigilant.e dans la descente de l’avenue, respectez bien les feux. Ne stationnez pas sur la chaussée et admirez tranquillement la façade sur le trottoir, en veillant à laisser de la place aux piétons.

Observez les deux escargots sur la grille/porte du pavillon d’entrée d’une demeure qui était, fut un temps, aussi grande que l’hôpital Foch ! Créateur du défilé de mode, Charles Frederick Worth est LA référence sous Napoléon III, devenant même le couturier attitré de l’impératrice Eugénie. En 1854, il fait construire à Suresnes son château dont les fêtes extravagantes réunissant le Tout-Paris seront décrites par les frères Goncourt. Il ajoutera à son jardin à l’anglaise (comprenant déjà de fausses ruines, cascades et serres aux plantes exotiques) les sculptures du jardin des Tuileries, après son incendie par les Communards en 1870. Il n’y a pas de petit profit ou, ici, de petites récupérations…

 

Le tuyau Vélib’ : au carrefour en bas à droite, n’hésitez pas à traverser à pied aux passages piétons si vous ne vous sentez pas à l’aise.

 

  • 33 quai Gallieni, Darracq & Cie

 

Continuez tout droit sur la rue du Mont-Valérien, descendez encore sur la rue du Bac puis tournez à gauche sur le quai Gallieni.

©Circuit de la Sarthe, René Hanriot sur une voiture Darracq, Wikipédia.

 

En 1900, la France est le premier constructeur automobile mondial : 30 000 voitures y sont produites par an. Les États-Unis occupent la deuxième place du podium, loin derrière, avec 11 000 voitures construites seulement. C’est ici à Suresnes qu’Alexandre Darracq, vendeur de cycles puis de voitures, avait son usine.

Mais si Darracq ne vous évoque peut-être pas grand-chose (elle était pourtant la troisième marque française à l’époque !), cela ne sera pas le cas de Chevrolet ! Tout démarre en 1899, année pendant laquelle Louis Chevrolet est contremaître dans l’usine de Darracq avant de devenir par la suite pilote de course. Il sera même surnommé « coureur le plus casse-cou du monde ». En 1911, il lance une nouvelle marque automobile avec William Crapo Durant, le co-fondateur de General Motors : Chevrolet. Mais une brouille l’éloigne de l’homme d’affaires assez vite : le coureur lui revend son nom et ses actions pour cent mille dollars. Vu le succès de la marque, on peut se si demander Chevrolet s’est montré fin négociateur.

 

  • Angle rue du Ratrait et rue Rouget de l’Isle

 

Continuez quai Gallieni puis prenez sur votre gauche l’avenue George Pompidou, continuez tout droit rue du Ratrait et observez l’angle de cette rue et celle Rouget de l’Isle, sur votre droite…

A partir de 1895, Levavasseur vécut à l’angle de ces deux rues avec ses six enfants : rendez-vous au prochain arrêt pour vous raconter plus en détail l’histoire de ce génie !

 

  • 1 rue Curie, les ateliers de Levavasseur

 

Remontez la rue Rouget de l’Isle, prenez sur la rue des Bas Rogers avant de vous arrêter sur votre droite toujours au 1 rue Curie.

©Entraîneur au pilotage, simulateur de vol, Le Tonneau d’Antoinette, cour des ateliers Levavasseur, 1910, Wikipédia.

 

En 1903, l’inventeur fabrique le moteur Antoinette, du nom de la fille de son investisseur Jules Gastambide. Véritable révolution pour le secteur aéronautique, ce moteur est léger et offre un bon compromis poids-puissance, idéal pour des courses de bateaux puis d’avion. Les ateliers, situés rue Curie, produisent un moteur par semaine et très vite, les autres constructeurs (Blériot, Farman, Latham…) adoptent l’Antoinette de Suresnes. En 1910, ce moteur est le plus utilisé dans le monde !

La formation de Léon Levavasseur aux Beaux-Arts le pousse à concevoir des avions aussi efficaces qu’élégants : ainsi, l’Antoinette IV, dont la silhouette évoque celle d’un oiseau, tranche sur les productions de l’époque.

En 1917, dans cette même usine, s’installent Marcel Bloch (plus connu sous le nom de Marcel Dassault) et Henry Potez. Tous deux sont ingénieurs pour le ministère de la Guerre et fondent la SEA, la société d’études aéronautiques. Ils créent le biplace SEA IV, un avion de chasse censé aider la France à gagner la Grande Guerre… mais coup du destin, la création sort de l’usine le 11 novembre 1918 : des 1 000 biplaces initialement envisagés, seuls 115 exemplaires sont commandés.

 

 

  • Une balade en automobile, de la rue des Pavillons au quai de Dion-Bouton

 

Retournez sur vos pas pour rejoindre la rue Paul Bert, en face de la rue Rouget de l’Isle que vous venez de quitter. Redescendez la rue du Bicentenaire sur votre droite, puis tournez à gauche rue Eugène Eichenberger puis prenez le passage Jean Nennig sur votre droite, poursuivez rue Mars et Roty, pour rejoindre la rue Henri Martin. Remontez cette dernière pour rejoindre la rue de l’appel du 18 juin avant de descendre la rue des Pavillons.

©Usine de Dion-Bouton, La Rentrée des Ouvriers, Puteaux, carte postale, Wikipédia.

 

Il ne reste plus rien de l’usine mais la distance parcourue à vélo entre la rue des Pavillons et le quai de Dion-Bouton donne une idée de sa superficie ! Créée en 1884, elle fut la première à concevoir entièrement ses voitures tout en fournissant des moteurs pour plus de 200 marques comme Delage, Peugeot, Renault… En 1900, de Dion devient le plus important constructeur d’automobiles et de moteurs du monde ! Il nous reste aujourd’hui une trace de cette industrie dans les boîtes à gants de nos voitures : avant de déposer le bilan en 1927, l’entreprise crée les fameuses cartes routières, qui seront ensuite exploitées par Michelin…

 

  • Observez l’île de Puteaux depuis le quai de Dion-Bouton

 

Redescendez le quai de Dion-Bouton. Clôturons cette balade en revenant à nos premières amours : François Coty ! Il installa sur l’île de Puteaux ses ateliers annexes comme la fabrication de boîtes, les dorures ou encore la taillerie des flacons.

Le tuyau Vélib’ : soyez vigilant.e lorsque vous traversez le carrefour au pied du pont de Puteaux, n’hésitez pas à traverser aux passages piétons vélo à la main si vous n’êtes pas à l’aise. De l’autre côté du carrefour, la piste cyclable est sur le trottoir.

 

  • Atelier Gaston Garino, 18 rue Parmentier

©Ville de Puteaux

 

Envie d’en savoir plus sur la folie automobile ? Après avoir longuement descendu le quai de Dion-Bouton, prenez sur votre droite la rue Parmentier et arrêtez-vous au mini-musée dédié à ce dernier, l’atelier Gaston Garino : vous pourrez déambuler et vous émerveiller devant cinq voitures, deux moteurs mais surtout devant les six vélos créés au début du siècle par la célèbre marque… car si cette balade a fait la part belle à l’automobile, nous restons, comme vous, fans de vélo avant tout ! Garez votre fidèle destrier à la station Vélib’ située boulevard Richard Wallace.