Amis aventuriers cette balade est faite pour vous !
✓ Tenue de camouflage,
✓ Jumelles (pour observer les castors),
✓ Arc et ses flèches (s’il vous fallait repousser un(e) prétendant(e) audacieux(se) durant une partie de chasse)…
Comme les trappeurs en leur temps, êtes-vous prêts à suivre la piste qui vous permettra de remonter l’histoire de la Bièvre, rivière aux multiples facettes ? Car si cette dernière ne paie pas de mine, enterrée sur 5 km à Paris et ne ressortant qu’à Cachan, son histoire regorge de rebondissements. Au long de ses 33 km, de sa source du côté de Versailles / Guyancourt à sa confluence avec la Seine, partez à la découverte d’une petite portion de vie dense et trépidante !
Départ : Station n°5115 Buffon – Jardin des Plantes
Arrivée : Station n°42301 Gare Arcueil – Cachan
Durée : 2 h30 environ
Autour du Jardin des Plantes – Une embouchure au vert
Départ rue Buffon
Jardin des Plantes © Rog01 sur flickr
Enterrée certes, mais pas morte pour autant ! En surface à Paris, si on ne peut plus suivre le clapotis de la Bièvre, on peut retrouver sa trace en suivant celle d’hommes ou de lieux célèbres. Commençons par l’un des plus beaux jardins de Paris, le Jardin des Plantes : un jardin qui lui doit la vie.
Remontons le temps, lorsque Louis XIII cherchait un lieu disposant d’une source d’eau pour créer son jardin botanique. Situé entre la Bièvre et l’actuelle rue Geoffroy Saint-Hilaire, le Jardin royal des plantes médicinales est aménagé en 1635. Quelques années plus tard, des enseignements gratuits en botanique, chimie et anatomie y sont dispensés.
Canalisée depuis le Moyen-Âge, la Bièvre avait déjà été détournée de son lit initial. Sous l’actuelle allée Becquerel (dans l’enceinte du Jardin des Plantes) se trouvait alors le canal des Victorins qui arrosait le moulin et les champs de l’abbaye de Saint-Victor, détruite pour accueillir la Halle aux vins après la Révolution. Par la suite, le site renoue avec l’émulation intellectuelle de ses débuts en accueillant mathématiciens et physiciens sur le campus de Jussieu (aujourd’hui Pierre et Marie Curie) de la Faculté des Sciences de Paris. Le campus fut ainsi nommé en l’honneur de trois frères botanistes de renom, dont les contributions dans ce domaine furent nombreuses. Parmi les plus connues, la reconnaissance des bienfaits de l’arbre quinquina dont est extrait la quinine, célèbre aujourd’hui pour son utilisation en traitement du paludisme.
Drôle de coïncidence pour cette zone qui s’est très vite avérée marécageuse ! Amis aventuriers, si vous pensiez que le nom Bièvre venait du latin “beber”- le castor-, sachez que les experts penchent quant à eux pour une signification différente -brune-, plus proche de la rivière boueuse aux abords de la Seine…
Cette hypothèse, moins reluisante, n’a pas empêché la Bièvre de devenir l’alliée privilégiée des meuniers ! Sur le chemin, devant le 28 rue Geoffroy-St-Hilaire, vous trouverez ainsi une plaque rappelant l’emplacement de l’un de ses nombreux moulins, le moulin Coupeau. Ce n’est que le début de l’épopée industrielle de la Bièvre !
Quartier Croulebarbe – Et de l’eau jaillit l’industrie
Manufacture des Gobelins (cours intérieures 3 rue des Gobelins) et Château de la Reine Blanche (Rue Berbier du Mets)
Château de la Reine Blanche ©couscouschocolat sur flickr
Pas de lutin farceur ou génie des eaux ici, mais la très réputée famille des Gobelins. Teinturiers de père en fils, certains prétendent que c’est l’eau peu calcaire de la Bièvre qui aurait attiré Jehan Gobelin ici en 1450. Par la suite, Henri IV y fait installer des tapissiers flamands et plusieurs ateliers voient alors le jour. C’est en 1662, lorsque Colbert met la fabrique sous protection royale, qu’est instituée la Manufacture des Gobelins telle que nous la connaissons : elle rejoint la Manufacture des Meubles de la Couronne (3 bis rue des Gobelins et entrée 42 Av. des Gobelins). Rue Barbiers-du-Mets, on peut encore admirer l’ancienne demeure de la famille des Gobelins, appelée aujourd’hui le “Château de la Reine Blanche”.
En + pour les flâneurs :
Si vous avez le temps de faire un léger détour, rendez-vous à l’angle des rues Emile Deslandres et Berbiers du Mets, où vous pourrez admirer une fresque réalisée en 2013 par l’artiste de street-art Seth qui évoque avec poésie le souvenir de la Bièvre. Regardez cette petite fille qui semble voguer sur une rivière de parapluies ternes. De dos, elle observe des poissons multicolores… Serait-ce un hommage de l’artiste à la dualité de la Bièvre ?
Île aux Singes et moulin Croulebarbe
Île aux singes plaque commémorative ©Monceau sur flickr
D’autres teinturiers suivent l’exemple de la famille Gobelin, puis viennent tanneurs et mégissiers, débarqués eux aussi de la rive droite. Une guerre de voisinage ne tarde pas à éclater entre ces deux activités que tout oppose : si les premiers dépendent d’une eau propre pour fixer les couleurs, les seconds, utilisant la rivière pour nettoyer leurs peaux, la polluent …
La Bièvre devient un tel cloaque à ciel ouvert que ses deux bras font autant référence à son débit qu’à sa pollution ! D’un côté un “bras vif” jonché de moulins qui accélèrent le courant, au dépend de l’autre côté qui devient alors un “bras mort”. Entre les deux, un îlot appelé Île aux singes abritait à l’époque des guinguettes. L’insalubrité du lieu oblige la ville de Paris à l’assainir après avoir enterré la Bièvre. Un projet de jardin est alors réalisé, aujourd’hui devenu le square René Le Gall. Une plaque rappelant l’ancien pont menant à l’île est toujours visible à l’angle de la rue Berbier du Mets et Croulebarbe.
Situé à l’époque à l’entrée du square, le moulin Croulebarbe mettait en branle les soufflets d’une fonderie située à proximité. Paris vibrait alors au rythme de la Bièvre !
Glacière
Reprenons le cours trépidant de la Bièvre et dirigeons-nous vers le quartier de la Glacière, avec sa rue et son métro éponymes. C’est ici que le « bras mort » de la rivière se perdait en un réseau stagnant qui gelait facilement en hiver. Idéal pour les glaciers – pas ceux à l’italienne ! – qui brisaient la glace obtenue, la conservaient dans des puits et la revendaient aux poissonniers ou limonadiers. Ces derniers pouvaient ainsi apporter un peu de fraîcheur aux messieurs-dames assoiffés dans les jardins en été.
Butte aux Cailles et Poterne des Peupliers – La vie de village aux bords de l’eau
Place Paul Verlaine
Piscine de la Butte-aux-Cailles ©Fred Romero sur flickr
Mais laissons là aristocrates et bourgeois. Eloignons-nous encore un peu plus du centre-ville, car suivre la Bièvre hors de Paris, c’est aussi suivre l’évolution de l’industrie et avec elle les murs des enceintes successives… pour mieux éviter les taxes !
En traversant le boulevard Blanqui, nous voilà « hors des murs » de Paris jusqu’en 1860 ! Monsieur Cailles avait donc vu juste en achetant la butte en 1543, située 28 mètres au-dessus de la Bièvre. Carrières de calcaires, moulins, blanchisseries, tanneries profitent de l’exposition et l’accès à la rivière pour mener à bien leurs affaires. Les « Chevaliers de la bricole », les chiffonniers en tête, en font également leur fief. Cette population industrieuse, éloignée de la Seine, pourtant au bord d’une rivière, manquent cruellement d’eau… potable. Les épidémies dues au ruisseau nauséabond sont nombreuses. Le baron Haussmann, décidé à assainir Paris, se fait fort de faire parvenir une eau plus pure à ces quartiers. C’est ainsi que commence l’aventure du puits artésien de la Butte aux Cailles (place Paul Verlaine). Car pour voir l’eau jaillir de ce puits, il faudra creuser plus de 580 mètres en profondeur et patienter… trente-sept ans ! Un peu plus loin rue du Moulin-des-Prés, depuis la rue du Moulinet, vous pouvez admirer le “chevet[1]” de la piscine Art Déco qui était alimentée par ce puits. On dirait une cathédrale de l’eau !
Malheureusement, il est déjà trop tard pour la Bièvre qui devait profiter de ce nouveau débit, car les travaux d’enfouissement de cette dernière ont commencé.
Square des Peupliers
Square des Peupliers ©Mbzt
Poursuivons encore un peu plus loin pour rejoindre un autre moulin de la Bièvre, celui des prés. Si ce dernier n’existe plus, le square des Peupliers est un reflet des vestiges de la rivière (68 et 72 de la rue du Moulin-des-Prés). Lorsque cette dernière est enfouie, le terrain gagné est trop fragile pour accueillir de hauts immeubles, aussi, en 1926, en mémoire des arbres qui longeaient la Bièvre ici, la « micro-cité-jardin » des Peupliers sort de terre. Ou devrions-nous dire… sort de l’eau ? Les prémices de la renaissance de la Bièvre…
Longez la rue des Peupliers pour rejoindre la porte de Paris. Passez la Porte des Peupliers d’où entrait la Bièvre, coulant sous la voûte des fortifications de Thiers !
Gentilly et Arcueil – Rouler sur l’eau
Allée René Cassin, Gentilly
Église Saint-Saturnin de Gentilly ©Poulpy
Comme un clin d’œil à la rivière disparue, Gentilly a retracé son cours avec de faux ponts près de l’église, allée René Cassin. Fermez les yeux, vous visualisez l’esprit du village d’alors avec l’église Saint-Saturnin qui carillonne, le chant du ruisseau aux abords, les rives où s’étendaient à perte de vue des étendages de linge des blanchisseuses, des tanneries et des cordonneries. On s’y croirait presque !
Parc départemental du Coteau et Maison de l’environnement du Val de Bièvre – 66 Rue de la Division du Général Leclerc, 94110 Arcueil
Le projet de renaissance de la Bièvre dans ces deux villes promet une résurrection bucolique de cet espace, comme en témoigne l’aménagement du parc départemental du Coteau, où la rivière en cours d’assainissement, devrait réapparaître d’ici fin 2021.
En + pour les âmes bucoliques :
Direction la Maison de l’environnement du Val de Bièvre (66 Rue de la Division du Général Leclerc, 94110 Arcueil) pour récupérer toutes les informations sur la faune et la flore bientôt retrouvées ici !
Rue Cauchy – blanchisseries et aqueducs
Vestiges de l’âge d’or de notre fameuse rivière, quelques blanchisseries subsistent encore du côté pair de la rue Cauchy. Aujourd’hui appartements et courettes privées joliment fleuries les remplacent peu à peu.
La rue s’achève sur le majestueux aqueduc où un certain Arcolius (Arcueil) aurait pleuré sa belle transformée en ruisseau… la Bièvre ! La légende raconte que le jeune homme tombe fou amoureux de la belle Gentiliane (Gentilly) lorsqu’il croise cette dernière en pleine chasse. C’est pour se soustraire à ses avances un brin insistantes que la jeune nymphe chasseresse est transformée par la déesse Diane en un ru vibrant. En souvenir de son amour pour sa belle, Arcolius fait ériger des arcs majestueux, à l’origine du fameux aqueduc. Bien que celui de la légende ait disparu depuis longtemps, aujourd’hui vous avez deux aqueducs pour le prix d’un ! L’aqueduc de la Vanne du XIXème siècle qui mène aux réservoirs de Montsouris repose sur celui de Médicis (1613) qui alimentait le jardin du Luxembourg. Paris se retrouve en banlieue et la banlieue se déverse à Paris !
Cachan – La Renaissance de la Bièvre !
“Cachan Bièvre en eau” ©VVVCFFrance
Enfin la voilà, la mystérieuse rivière dont les courbes apparaissent enfin à vos yeux : suivez-la en vous promenant le long de ses berges dans le parc “Les rives de Bièvre“ le long de la Promenade de la Bièvre ! Laissez-vous porter par le joyeux clapotis d’une petite rivière en pleine ville et imaginez-la – comme certains en rêvent encore – rejaillir de Versailles à Paris, trait d’union joliment sinueux et aussi mystérieux que charmant, entre Paris et sa banlieue.
Vous pourrez si vous le souhaitez revenir à Paris en RER en laissant votre Vélib’ à la station n°42301 Gare Arcueil – Cachan.
[1] Rebord en plomb dont on garnit les chéneaux, près de la gouttière, pour empêcher l’eau de s’échapper.