Prévoir à 12h la disponibilité des vélos !

Une start-up bordelaise, Qucit, a développé un logiciel de prédiction à 12h de la disponibilité des vélos. Celui-ci a été inclus dans l’application du VCub, « La Bonne Station », destinée aux utilisateurs du système de vélos en libre-service de la communauté urbaine de Bordeaux. En s’appuyant sur tout l’historique des stations, les mouvements enregistrés en fonction des jours, des heures et même de la météo, VCub Predict analyse la probabilité de trouver un vélo ou une place dans les 12 prochaines heures à la station de son choix. Interview du PDG et fondateur, Raphael Cherrier.

Vous étiez d’abord un utilisateur du VCub, comment est né ce projet d’analyse prédictive ?

Raphaël Cherrier : Il y a maintenant un peu plus de trois ans et demi, j’étais enseignant chercheur mécanique des fluides et utilisateur du VCub. Je me confrontais comme tout le monde à des problématiques de stations vides et stations pleines. Je pensais qu’il était possible d’améliorer les choses en analysant les données probablement produites. Je suis allé rencontrer les responsables de Keolis à Bordeaux et j’ai commencé à travailler sur un premier jeu de données : l’ensemble des trajets réalisés par les utilisateurs du VCub ainsi que l’historique de l’occupation des stations toutes les 15 minutes. J’ai ensuite développé mon propre outil de récupération des données pour obtenir l’occupation des stations toutes les minutes. L’objectif était d’améliorer le système tout en maximisant l’efficacité des opérations de régulation des vélos. Quelles stations approvisionner en priorité ? Quelles stations agrandir en priorité ? Où positionner de nouvelles stations ? Quelles stratégies adopter pour être le plus efficace possible ? Les recommandations que j’ai formulées ont été en bonne partie suivies.  Mais en tant qu’universitaire, je me limitais à du conseil. Depuis septembre 2013, je me consacre totalement à ce projet et j’ai créé une start-up, Qucit, en mai 2014. Le logiciel de prédiction a été intégré dans l’application « La Bonne Station » de Keolis, destinée aux utilisateurs du VCub. C’est une brique supplémentaire de l’application existante.

Concrètement, quels phénomènes êtes-vous capables de prédire et quelles sont les limites ?

 Raphael : On est plutôt bons ! À 30 minutes, nous fournissons des informations fiables à 88%, à 1h30 des informations fiables à 74% et à 12h, nous sommes encore à plus de 50% de fiabilité. Et par fiable, on entend que l’on se trompe de moins de deux vélos.

L’algorithme analyse tout l’historique des stations en fonction du jour, de l’heure mais aussi des prévisions météo. Bien sûr, on n’atteindra jamais le 100% parce que les prévisions météo elles-mêmes sont parfois aléatoires. En tout, neuf variables météo sont prises en compte : les températures et les niveaux de précipitation (avec une distinction entre les millimètres de pluie par heure car entre une pluie fine et une douche, l’effet n’est pas le même sur les locations de vélos), mais aussi des facteurs moins impactant comme la pression atmosphérique, le taux d’humidité, la couverture nuageuse, etc.

 

L’autre limite à l’analyse prédictive est liée à la complexité d’une ville. Mais il y a également une complexité supplémentaire inhérente aux systèmes de vélos en libre-service. Si vous analysez les données d’un tram pouvant accueillir 300 personnes, vous avez essentiellement des voyageurs habitués à ce trajet et un échantillon de personnes représentatif. Plus le nombre d’usagers / de voyageurs est important, plus les marges d’erreurs diminuent parce que les données se moyennent. Sur un système comme VCub, avec 150 stations et 1200 à 1300 vélos disponibles ou en circulation en permanence, ce sont en moyenne l’activité de moins de 10 vélos par station que l’on analyse. La marge d’erreur est statistiquement plus grande. Et puis les déplacements sont des actes individuels très impactés par les facteurs extérieurs. Selon moi, un déplacement en VCub est plus impulsif, plus variable qu’un déplacement avec un autre mode de transport. Cela-dit c’est cette complexité que l’on veut décrypter. Quand l’aléatoire contredit l’analyse prédictive, est-ce qu’on peut expliquer pourquoi ? Est-ce qu’il y avait une panne de transports ? Un événement à proximité comme un concert ? Si c’est le cas, ces phénomènes peuvent être intégrés au modèle mais cela suppose de disposer de données fiables.

Quels sont les premiers retours des utilisateurs ?

Raphael : Les retours sont globalement positifs. 80% des utilisateurs estiment que l’application leur est utile. Mon sentiment est que  la plupart des gens connaissent très bien quelques stations : celles à côté de chez eux, de leur travail, etc. Et pour ces stations-là, ils n’ont pas vraiment besoin d’une analyse prédictive : ils connaissent ces stations et savent anticiper. Par contre, dès qu’ils sortent de cette zone de confort, l’analyse prédictive peut être très utile.

Le logiciel n’a pas qu’un intérêt pour les utilisateurs, quels développements pour la régulation ?

Raphael : Au début, je donnais des conseils sur les stratégies à adopter mais là on veut réellement optimiser la régulation, l’équilibre entre stations vides et pleines. Les équipes de régulation regardent déjà l’application « La Bonne Station » pour optimiser les tournées. Nous pourrions néanmoins les équiper d’un outil dédié. On se placerait alors du point de vue de l’opérateur et pas de l’utilisateur. Si une station a quatre vélos à l’instant T, l’analyse prédictive permet de savoir s’il vaut mieux ajouter ou pas des vélos, et alors combien en fonction du nombre de vélos probables dans les prochaines heures. Certaines stations vont se remplir naturellement, il n’est pas alors efficace d’ajouter des vélos et de créer ainsi un trop-plein. L’autre objectif est de réfléchir à la tournée des camionnettes de régulation.

Et après VCub, vous avez d’autres projets de développement ailleurs ? Avec Vélib’ ?

Raphaël : Nous sommes propriétaires de la brique d’analyse prédictive ajoutée sur le logiciel de VCub, rien ne nous interdit donc de l’implémenter sur d’autres systèmes. On aimerait bien en effet travailler sur d’autres systèmes. Keolis gère plusieurs systèmes de vélos en libre-service ailleurs comme à Lille,  Rennes ou Orléans. Pour ce qui est de Vélib’ cela serait statistiquement plus intéressant. Vélib’ a longtemps été le plus gros système au monde. Vélib’, c’est mythique !

Affaire à suivre…