Limiter la vitesse pour mieux partager la voirie ?

Zones 30, zones de rencontres, l’aménagement des villes et en particulier de leur voirie a beaucoup évolué en 50 ans, en France et dans le monde. L’objectif est aujourd’hui de favoriser une utilisation partagée de la voirie. Mais concrètement, comment parvenir à cette cohabitation harmonieuse des piétons, cyclistes, automobilistes et deux-roues-motorisés ? Éléments de réponse avec Jean-François Durand, chef de l’unité sécurité des déplacements et partage de la voirie pour l’Ile-de-France au sein du Cerema.

Du « tout voiture » à une réflexion sur les usages

Le Cerema a acquis une réelle expertise en la matière. Le Cerema produit et actualise quantité de fiches techniques détaillant les types d’aménagements, leurs vertus respectives, la configuration la plus pertinente, les points de vigilance. C’est aussi cet établissement public qui pilote techniquement le programme national « Une voirie pour Tous », porté par le Ministère du Développement Durable. Les équipes du Cerema, organisées en huit grandes régions, assurent ainsi une mission de conseil auprès du Ministère mais aussi des collectivités locales lorsqu’elles construisent leurs projets. Car les projets ne sont plus de même nature. « Nous sommes passés d’une logique du tout voiture jusque dans les années 70 où la ville devait être adaptée à ce mode de déplacement à l’idée que d’autres modes de déplacements étaient intéressants et même que la voiture n’était pas forcément le meilleur outil pour se déplacer en ville » rappelle Jean-François Durand. La logique, « à l’échelle mondiale » précise-t-il, est ainsi aujourd’hui d’adapter la ville « aux usages pour que tous les usagers cohabitent au mieux ».

Une sécurité renforcée

Un autre élément a fait bouger la donne des aménagements : la prise en compte du facteur humain. « Quels que soient les aménagements et modes de déplacements, le comportement est un élément déterminant : tout le monde est faillible même s’il respecte les règles de sécurité routière » explique Jean-François Durand. Or, en cas d’accident, la réduction de la vitesse diminue fortement la mortalité. En cas d’accident, la probabilité de survie pour un piéton heurté à 50km/h passe de 20% à environ 90% à 30 km/h. Un véhicule circulant à 30 km/h s’arrête en 13 mètres environ (1 seconde de réaction + temps de décélération) contre 28m à 50 km/h. L’automobiliste a aussi un champ visuel plus large et peut établir un contact visuel avec le piéton et les cyclistes.

Les accidents les plus graves ont plutôt lieu sur les grands axes où la vitesse est maintenue à 50 km/h ; Difficile de mesurer précisément un effet zones 30 sur l’accidentologie. « Mais s’il est difficile de réaliser un bilan statistique avant / après la mise en place d’une limitation de vitesse sur une zone, on sait toutefois que l’augmentation du nombre de piétons et de cyclistes n’accroît pas le nombre d’accidents et, en cas d’accident, réduit leur gravité, ce qui montre l’effet vertueux de la limitation de vitesse et son rôle dans la meilleure cohabitation des différents usagers » précise Jean-François Durand. La réduction du risque avec celle de la vitesse était déjà connue, sa prise en compte et traduction par une réduction de la vitesse autorisée en ville est plus récente. D’où deux types d’aménagements : les zones 30 et les zones de rencontre.

Zone 30 ou de rencontre ?

Dans les zones 30, hormis la limitation de vitesse, les règles sont les mêmes qu’ailleurs dans la ville alors que dans les zones de rencontre, les piétons ont une place prioritaire renforcée. « Dans le code de la route, un piéton doit traverser de façon régulière c’est-à-dire obligatoirement en utilisant les passages piétons s’ils sont à moins de 50 mètres » rappelle Jean-François Durand. Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas, et encore moins en zone 30. Par contre, dans les zones de rencontre, limitées à 20 km/h, « le piéton est prioritaire sur tous les autres usagers, y compris les cyclistes, et peut circuler sur toute la voirie, chaussée comprise. C’est cela la grande différence avec la zone 30, plus que le différentiel de 10 km/h » souligne-t-il. Certaines zones de rencontre « fonctionnent très bien comme par exemple dans le quartier Saint-Germain » cite Jean-François Durand où la limitation de vitesse entérine presque un usage partagé de la voirie historique. Le nombre de piétons est d’ailleurs déterminant dans le succès de ces zones de rencontre, réservées plutôt aux rues aux trottoirs étroits et très fréquentées.

Est-ce que les usagers de la route identifient bien les zones 30 ?

L’une des difficultés est que les automobilistes et deux-roues motorisés perçoivent bien les zones à vitesse réduite et leurs contours. De fait, « on constate qu’il y a tellement de choses à voir dans la circulation que la signalisation verticale, à l’exception des feux tricolores, est occultée rapidement » explique Jean-François Durand. Ainsi certains conducteurs oublient ou pensent être sortis de la zone 30 ou de rencontre. « La Ville de Paris a fait un travail extraordinaire d’expérimentation de marquages au sol » souligne Jean-François Durand. L’idée, matérialiser l’espace de la zone 30, bien le distinguer des autres en modifiant l’aspect des passages piétons. Certains des marquages expérimentés seront « vraisemblablement intégrés dans le code de la route » ajoute Jean-François Durand.

Limiter à 30 km/h partout ?

« Quand on regarde une ville, globalement 10 à 20% du réseau correspond à des voies de transit, utilisées par un grand nombre d’usagers motorisés » explique Jean-François Durand. Pour les 80% restant, plutôt des rues de quartier, résidentielles, le passage à 30 est plus évident. Mais la perception de la vitesse n’est pas toujours juste. Par exemple, face à un feu tricolore au vert, les automobilistes ont tendance à accélérer pour ne pas risquer qu’il passe au rouge. Mais ces à-coups, freinages et accélérations ne font pas toujours gagner de temps,. C’est aussi vrai pour la pollution.

Certaines associations d’automobilistes expliquent qu’une voiture pollue moins à 60 qu’à 30 km/h. « Ces tests ont été réalisés sur des bancs d’essai mais en ville une voiture ne roule jamais à 60 km/h en continu » rappelle Jean-François Durand qui précise que c’est pendant la montée en température du moteur, soit les premiers kilomètres, que la voiture pollue le plus. Les trajets en ville étant plutôt courts, la multiplication des voies et mode des déplacements doux et la limitation de la vitesse réduisent ainsi bel et bien la pollution.  Par ailleurs, « une vitesse plus constante dans une zone 30 avec des priorités à droite permet de réduire les incidents et conflits et même d’améliorer la vitesse moyenne et ainsi de se déplacer plus vite » souligne Jean-François Durand. La réduction de la vitesse à 70 km/h sur le périphérique a ainsi fait augmenter très légèrement la vitesse moyenne… « Ce que nous préconisons, si une circulation à 30 ou une zone de rencontre sont installés, c’est plutôt d’éviter les feux rouges au profit des priorités à droite, plutôt bien respectées, et qui favorisent une vitesse réduite mais constante » explique Jean-François Durand.

Aménagements souhaités et souhaitables

J’ai demandé à Jean-François Durand quelles étaient les préconisations pour les villes qui ne peuvent pas, même si elles le souhaitent, en raison de leur bâti, mettre en place les modèles d’aménagements de pistes et bandes cyclables. « On raisonne en terme de cheminement continu pour le cycliste mais, même si c’est ce que préfèrent la plupart des cyclistes, les aménagements cyclistes séparés de la circulation ne sont pas forcément souhaitables : il y a toujours des intersections qui peuvent générer des conflits d’autant que les automobilistes oublient la présence des cyclistes qu’ils ne voient plus devant eux et cela peut générer au contraire une sur-accidentalité » insiste Jean-François Durand. « Même si c’est moins rassurant pour le cycliste plus ou moins novice, être dans la circulation sécurise les déplacements car cela pacifie  la circulation» ajoute-t-il.

« Le partage de la voirie ne se fait pas contre la voiture, il ne s’agit pas de la proscrire mais de prendre en compte les différents usagers et de reconnaître que ce n’est pas toujours le mode de déplacement le plus efficace » conclue-t-il.

Pour aller plus loin

Le site officiel Une voirie pour Tous, http://www.voiriepourtous.developpement-durable.gouv.fr/

Les publications du Cerema http://www.certu-catalogue.fr/zones-de-circulation-particulieres-en-milieu-urbain-les.html