En juin dernier, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Ile-de-France (IAU-IDF) a publié une enquête consacrée aux « Aménagements cyclables en Île-de-France. Bilan et évolutions récentes 2007-2012 ». Interview de Marie-Angèle Lopes, qui a réalisé l’étude.
L’enquête retrace, en s’appuyant sur les données transmises par les collectivités locales d’Ile-de-France, l’évolution des politiques d’aménagements cyclables entre 2007 et 2012 : l’état actuel, la répartition géographique, les évolutions dans les choix d’aménagements.
Vous notez une nette accélération avec un triplement du linéaire cyclable en 13 ans mais encore de grandes disparités selon les communes. Est-ce cela qui explique que la part modale du vélo soit encore inférieure à d’autres capitales ?
Marie-Angèle : on part de très loin. Les communes de la Région n’ont véritablement commencé à réaliser des aménagements cyclables que dans les années 90 suites aux grèves dans les transports parisiens, qui ont été un accélérateur, et à un changement de mentalités. Copenhague a fait sa révolution plutôt dans les années 70. Mais des choses se mettent en place. Les politiques de la Région, de certains départements et communes commencent à porter leurs fruits d’où cette évolution du linéaire qui atteint aujourd’hui 3500 km.
Paris et la petite couronne, qui vont former la future métropole du Grand Paris, sont les communes qui aménagent beaucoup en faveur des vélos. Plus généralement, l’aménagement cyclable est une politique urbaine : 80% de l’ensemble des aménagements sont situés dans des communes urbaines. Paris et les communes de la petite couronne sont celles qui portent cette politique du vélo en ville.
Justement, dans quelle mesure un système comme Vélib’ et les vélos en libre-service ont-ils un impact ?
Marie-Angèle : Nous ne disposons pas d’informations pour mesurer cet impact du Vélib’ sur Paris et les communes de limitrophes de la petite couronne. Mais ce qui est certain et visible, c’est que pour Paris, le système Vélib’ a eu un véritable impact et a permis de (re)mettre au vélo beaucoup de parisiens et de franciliens qui travaillent sur Paris. Et ce parce que Vélib’ répond à un besoin du fait de la difficulté à stationner un vélo personnel dans les parties communes des immeubles par exemple. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre. Vélib’, l’ensemble des pistes et bandes cyclables réaliséespour constituer un réseau continu et sécurisé, les week-ends dans les quartiers calmes où les voitures sont interdites. Quand on offre un service pratique, qu’on réalise des aménagements, ils sont utilisés. La plupart des déplacements franciliens ne dépassent pas les 3km de distance. Le vélo est donc très adapté, s’il est pratique. Dans le périurbain, le vélo est moins présent parce qu’il y a une insécurité ou un sentiment d’insécurité et un besoin d’aménagements. La communication a aussi un rôle : les événements organisés, comme les berges de Seine ouvertes aux cyclistes, incitent d’abord à un usage de loisirs mais permettent de faire découvrir l’intérêt du vélo, de lever les peurs. Dans le département du Val-de-Marne par exemple, il y a toute une politique de promotion du vélo envers les collégiens, des vélos écoles mis en place par des associations pour inciter les adultes à faire du vélo. Et puis le code de la route a évolué avec le « code de la rue ». Les aménagements, des itinéraires continus et sécurisés, les services sont des déclencheurs de la pratique du vélo.
Paris reste l’exception et la commune mobilisant le plus de voirie pour l’aménagement cyclable avec 545 km de voies cyclables aménagées, ce qui représente 18 % de son réseau de voirie disponible (hors boulevard périphérique). (Photo Cédric Lavallart IAU-Idf).
Vous faites une typologie des types d’aménagements et vous notez une progression importante des aménagements partagés, pouvez-vous nous en dire plus ?
Marie-Angèle : Au début, les aménagements cyclables étaient un peu conçus comme des routes, bien séparées, avec une fonction dédiée au vélo ou aux autres usagers de la route. Cette conception de l’ingénierie a évolué ; aujourd’hui on se dirige plutôt vers un partage de l’espace public. D’où les aménagements partagés avec les piétons et les voitures : des bandes cyclables et une réduction de la vitesse qui permettent de sécuriser et limiter les accidents. Alors que dans les années 70-80 on considérait que la voirie appartenait aux voitures, aujourd’hui on estime et recommande qu’elle appartienne à tout le monde et on souligne que l’on est à la fois piéton, automobiliste, cycliste, etc.
Suite à l’évolution du code de la route, les doubles-sens cyclables se développent dans les zones 30, pour l’instant dans les communes très urbaines avec de fortes contraintes de circulation (notamment à Paris et dans les Hauts-de-Seine). Cela permet de créer des raccourcis pour les cyclistes et de sécuriser leurs déplacements. Même si les automobilistes ont des a priori négatifs, les doubles-sens cyclables permettent de mieux voir les cyclistes et de limiter les accidents.
Est-ce que cette tendance en faveur des aménagements partagés ne crée pas aussi plus de possibilités de multiplier les aménagements cyclables ?
Marie-Angèle : Oui mais cela-dit, les pistes cyclables continuent à progresser même si c’est à un rythme plus lent que les aménagements partagés. Aujourd’hui, les services techniques de l’État estiment que si une modération de la vitesse de circulation à 30km/h est mise en place, il n’est pas obligatoire de réaliser des aménagements spécifiques pour les cyclistes qui peuvent alors se déplacer sur la voirie. Mais limiter la vitesse à 30km/h ne suffit pas forcément pour que les cyclistes aient envie de se déplacer à vélo : transformation de l’espace public, marquage au sol, signalisation doivent aussi être réfléchis pour que les cyclistes se sentent en sécurité.
Certaines communes font par exemple le choix de limiter la vitesse dans toute la ville à 30km /h et de ne garder que quelques grands axes à plus de 30km/h où elles aménagent alors des pistes et bandes cyclables. Du coup, statistiquement, on assistera dans les années à venir à une stagnation des aménagements recensés mais cela ne voudra pas dire que la ville sera moins cyclable ; cela sera même plutôt le contraire. Les aménagements cyclables ont aussi un coût pour les collectivités et, dans les centres anciens en particulier, abaisser la vitesse à 30km/h et organiser le partage de l’espace public entre les utilisateurs permet d’améliorer la qualité de vie pour un coût moindre. Auparavant, la Région ne subventionnait que l’aménagement de pistes et bandes cyclables ; aujourd’hui, les aménagements faits dans le cadre de l’instauration d’une zone 30 sont aussi aidés. Cela peut contribuer à développer les politiques des communes en faveur des aménagements partagés.
Suite à la publication de l’enquête, j’ai eu des retours d’associations notamment sur le classement des 99 communes les plus aménagées en faveur du vélo (hors Paris). Ils estimaient que certaines villes « bien classées » n’étaient pas pour autant très cyclables. C’est la limite de cette étude qu’il faut prendre pour ce qu’elle est : une évaluation quantitative des efforts d’aménagements cyclables. Les cyclistes ont eux une analyse qualitative de ces aménagements. Je ne peux évidemment pas faire moi-même cette évaluation sur les 3500 km de linéaire cyclable franciliens. Et les services des villes eux-mêmes ont du mal à avoir des retours sur la qualité de leurs aménagements. On est aujourd’hui dépendant des données recueillies et transmises par les villes. L’évolution des outils techniques va aussi aider à faire le bilan et l’appréciation de la qualité des aménagements va progresser.
Vous décrivez le jeu des acteurs qui concourent à la réalisation des aménagements cyclables, est-ce que la future Métropole du Grand Paris (Paris + communes de la petite couronne) pourrait jouer un rôle notamment de coordination des politiques cyclables ?
Marie-Angèle : Aujourd’hui, la Région Ile-de-France n’est pas le maître d’ouvrage des aménagements, elle ne peut qu’inciter, via les co-financements, les communes et départements à développer leur politique cyclable. Il y a un enchevêtrement des politiques, décidées à l’échelle de chaque commune et département. Les communes réfléchissent à l’échelle de leur territoire administratif, les départements tracent un réseau d’intérêt départemental desservant notamment les collèges et équipements, notamment sportifs. La Région a tracé un réseau d’intérêt régional mais en prenant en compte les tracés mis en œuvre par les autres collectivités dans un souci de cohérence. Certaines collectivités commencent à faire de même mais en effet la Métropole du Grand Paris peut apporter une cohérence à ces politiques et essayer de penser le réseau à l’échelle de la métropole. Mais pour l’heure on ne sait pas encore comment les choses vont s’organiser.
Le défi pour créer un réseau cyclable structurant se situe, je pense, au niveau des villes du périurbain. On l’a dit, les communes très urbaines aménagent déjà leur espace public en faveur du vélo mais dans les villes péri-urbaines c’est beaucoup moins le cas. Or il y a un fort potentiel de développement dans ces villes souvent desservies par des gares et où les habitants ont besoin de réaliser des déplacements courts pour rejoindre la gare et les équipements locaux (scolaires, sportifs, etc). Alors que les communes urbaines commencent à bien connaître les différents types d’aménagements possibles et à les utiliser, on sent une frilosité des villes péri-urbaines. La question est de savoir comment les aider et notamment travailler à l’intermodalité des transports (la possibilité de combiner plusieurs modes de déplacements) ?
Quels sont les autres grands chantiers qui se dessinent pour les années à venir ?
Marie-Angèle : Les Véloroutes et voies vertes, ces grands itinéraires où des aménagements, des voies se combinent (pas forcément avec un aménagement continu unique). Il existe tout un maillage en France. Cinq itinéraires de véloroutes nationales traversent l’Ile-de-France : l’Avenue Verte London-Paris, la Véloscénie (Paris-Chartres-Le Mont-Saint-Michel), Paris-Prague, Paris-Strasbourg et l’EuroVélo 3 (Saint-Jacques de Compostelle à Trondheim en Norvège). L’Ile-de-France est en retard par rapport à d’autres régions mais souhaite développer ces véloroutes et a engagé des efforts pour les aménager. Ce qui est intéressant, ce sont les retours des collectivités locales les plus en avance sur la question. Si les véloroutes ont au départ plutôt un intérêt touristique, l’expérience montre qu’elles sont aussi utilisées pour des déplacements domicile-travail sur certains tronçons. Par exemple, la coulée verte du sud de Paris connaît des pics de fréquentation les matins et les soirs de la semaine aux heures de bureau. Et ce l’été comme l’hiver, ce qui montre l’intérêt de ces aménagements au-delà du tourisme. Par ailleurs, les retombées économiques ne sont pas négligeables. Sur le parcours de la Loire à vélo, qui est une référence en France, on estime qu’un cycliste dépense en moyenne 75€ par jour sur la route. Évidemment, cela dépend des tronçons et communes traversées mais c’est un indicateur intéressant.
Y’a-t-il un point que vous souhaiteriez souligner ou ajouter ?
Marie-Angèle : J’insiste sur le fait que le classement des communes les plus cyclables n’est que quantitatif et pas qualitatif. Ce n’est pas un classement parfait et il ne faut pas oublier que cette étude n’a pas été faite pour orienter les cyclistes vers telle ou telle ville plus cyclable mais pour recenser les politiques cyclables déclarées par les communes. Il y a eu une accélération des efforts entre 2007 et 2012 mais c’est encore un peu faible à l’échelle de la Région. Les 3500 km de linéaire cyclable de la région sont répartis dans 593 communes sur les 1300 que compte la région. Dans certaines communes il n’y a pas d’aménagements. D’où l’importance d’une politique cohérente avec un effort sur le péri-urbain et les communes rurales qui n’ont pas forcément cette culture, des techniciens formés voire les financements. Certaines communes nous disent que même si un aménagement est subventionné à 60% par la Région, elles ne peuvent assumer les 40% restant. Il n’y a peut-être pas besoin de se déplacer à vélo partout en Ile-de-France mais il nous faut trouver des alternatives à la voiture : l’auto partage, des transports spécialisés à la demande pour les personnes âgées, etc. et faire une place au vélo partout où c’est utile.
Merci à Marie-Angèle Lopes.