Les vélos en libre-services (VLS) se multiplient outre-Atlantique et Vélib’ a contribué à leur développement. C’est ce que m’a expliqué Colin Hughes, directeur de la politique nationale et de l’évaluation des projets pour l’ITDP (Institut for Transportation and Development Policy), institut américain qui promeut des politiques de transports durables et équitables mises en œuvre dans le monde. Colin est l’un des auteurs de « The Bike-Share Planning Guide », guide qui s’appuie sur les expériences mondiales de VLS, dont Vélib’, pour aider d’autres villes à concevoir et planifier leur propre système. Colin connaît d’autant mieux Vélib’ que j’ai découvert qu’il avait été guide à vélo à Paris et a assisté à la création de Vélib’.
1/ Colin, vous avez analysé les différents systèmes de vélos en libre-service existants dans le monde pour ce guide, quelles sont les clés du succès ?
Nous avons collecté des données sur 30 systèmes de vélos en libre-service (VLS) répartis sur quatre continents et les avons analysées en détail pour évaluer quels facteurs étaient les clés du succès d’un système. Nous en avons trouvé cinq pour mettre en œuvre un système de VLS capable d’être utilisé par le plus grand nombre de personnes et de la manière la plus performante possible.
- La densité minimum des stations doit être de 10 à 16 stations par kilomètre carré sur toute la zone de couverture du système.
- Il doit y avoir de 10 à 30 vélos pour 1000 habitants de la zone de couverture du système. Le ratio réel doit être plus proche de 30 vélos pour 1000 habitants si on prévoit beaucoup d’utilisateurs ; 10 si on s’attend à moins.
- La zone de couverture doit être au moins de 10 km carrés
- les vélos doivent être résistants, attractifs, s’adapter à tous les gabarits d’utilisateurs et être pratiques.
- Les stations doivent être faciles d’utilisation avec des systèmes rapides pour détacher et rattacher les vélos et proposer différentes options de paiement.
2/ Le guide revient sur l’histoire des systèmes de VLS. Quelles est la place de Vélib’ dans cette histoire et que peut-on apprendre de son expérience selon vous ?
Vélib est le système qui a véritablement mis en avant le vélo-partage sur la scène mondiale et qui a été un catalyseur de l’incroyable expansion des systèmes : plus de 600 créés dans les 7 ans qui ont suivi le lancement de Vélib’. Paris a vu la force du système inédit de Lyon, Vélo’v, et a eu le courage de prendre cette idée, de la lancer dans une capitale mondiale à une échelle de plus du double de ce qui avait été fait jusque-là.
J’ai vécu à Paris ; en 2005 et 2006, j’y étais guide à vélo. J’ai vu comment Vélib’ a transformé Paris en une ville bien plus agréable à vélo et pour ses habitants. Mais Vélib’ a aussi transformé d’autres villes dans le monde en faisant la démonstration que cette idée était possible et en leur donnant envie de suivre l’exemple de Paris.
Pour ce qui est de la programmation d’un système de VLS, Vélib’ a montré qu’il était payant de faire les choses en grand. Ce n’est pas la peine de lancer un système de vélos partage avec quelques centaines de vélos ; il faut commencer avec quelques milliers de vélos au moins et ensuite faire croître le système, l’adapter aux besoins. Cela a d’ailleurs été l’une des clés du succès de Vélib’.
Mais au-delà des enseignements techniques, je pense que Vélib’ a vraiment débridé l’imagination de ceux qui planifient les politiques de transports, des urbanistes, inventeurs et entrepreneurs partout dans le monde. Je crois qu’il y a un petit peu de Vélib’ dans chacune des nouvelles start-ups de « l’économie du partage » : des voitures partagées aux sites qui se spécialisent le « partage » d’appartement (des sous-locations temporaires pendant les vacances). Il y a 10 ans, les vélos en libre-service semblaient être une idée radicale et utopique. Vélib’ en a fait une réalité.
3/ Vous disiez dans un reportage pour “street film” que 2013 a été une année record pour le vélo-partage aux États-Unis, pourquoi ?
De la même manière que Vélib’ a prouvé que le vélo partage était une bonne idée dans le monde, les systèmes précurseurs comme Capitol BikeShare à Washington DC ont montré que c’était un succès aux États-Unis. Aujourd’hui les villes se dépêchent d’adopter leur propre système. Les vélos en libre-service ne sont pas seulement un excellent investissement dans les transports aux États-Unis mais aussi un signal très important que les villes sont attentives à la qualité de vie, à l’Environnement, à la santé, etc. Ces villes ne veulent pas seulement que leurs citoyens aient des modes de déplacement qui rendent plus heureux, sont sains et durables, elles sont également en concurrence pour attirer les cadres supérieurs et les entreprises qui veulent les employer en mettant en avant les systèmes de vélo partage et autres commodités des villes.
4/ Vu de la France, on a l’impression que la voiture a une place encore plus importante que celle qu’elle occupe en France ; comment expliquez-vous le succès des VLS aux États-Unis ?
Cette impression était exacte mais c’est en train de changer très rapidement. Je crois que les États-Unis ont appris à la dure la leçon d’avoir trop compté sur la voiture. On a fini gros, bloqués dans les embouteillages, à respirer un air pollué dans des banlieues laides. Maintenant, les tendances indiquent une autre direction : le nombre de permis de conduire délivrés est en baisse, le nombre de kilomètres parcourus aussi alors même que le PIB remonte ; c’est une première dans l’histoire américaine. Les enfants veulent un smartphone et un vélo maintenant. C’est comme cela qu’ils ont envie de découvrir le monde, pas dans une voiture. Et s’ils avaient besoin d’une voiture, cela serait plutôt une voiture partagée.
5/ Avez-vous déjà essayé Vélib’ ? Avez-vous aimé et qu’est-ce qui pourrait encore être amélioré ?
Oui, j’ai fait du Vélib’ et « j’aime Vélib » (en français dans le texte s’il vous plaît) ! Quand j’avais 25 ans, je me suis baladé en Europe à vélo et j’ai fini par arriver à Paris et à y prendre un travail en tant que guide à vélo pour les touristes. Je faisais du vélo tous les jours, partout et Paris n’était pas encore une ville adaptée au vélo. Mais quand Vélib’ est arrivé, tout a changé : plus de pistes cyclables, plus de cyclistes, plus de « culture vélo ». J’adore Vélib’ et je pense que c’est un super système. Pour ce qui est des améliorations, la plupart des touristes étrangers vous diront qu’ils aimeraient que cela soit plus facile d’acheter des tickets d’une journée avec les cartes de crédit étrangères. Et je pense aussi que les nouveaux systèmes à énergie solaire sont intéressants : plus faciles et moins couteux à installer et déplacer dans la ville. Mais cela-dit Vélib’ est un vrai standard de qualité de service et de mise en œuvre.
Merci à Colin Hugues !
Aller plus loin
Amis touristes, vous pouvez acheter en ligne vos tickets de courte durée pour mieux préparer votre voyage.
Télécharger le guide : http://itdp.org/bikeshare
Voir la vidéo « street films » sur le boom des VLS dans le monde où Colin notamment est interviewé :
https://go.itdp.org/display/live/Release+of+the+Bike+Share+Planning+Guide